« Le vaste mouvement d’expulsion des juifs d’Espagne et du Portugal, relayé par plusieurs États italiens, à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, est de grande conséquence pour la judaïté ottomane qui en sera finalement le principal réceptacle. La composante séfarade, venant s’ajouter à des couches plus anciennes et suivie d’autres apports, va dominer désormais par le nombre et une influence culturelle à la mesure d’un brillant héritage soigneusement entretenu. L’accueil favorable du sultan Bayezid II n’est pas un mythe, même s’il relève davantage d’un pragmatisme bien compris que d’une quelconque judéophilie.
Dans plusieurs domaines – le drap, le grand commerce, la finance et l’affermage des revenus de l’État –, les juifs, et notamment les séfarades, vont jouer un rôle moteur, sans être jamais exclusif. Quelques-uns, médecins du palais et grands hommes d’affaires, exercent même une certaine influence politique qui reste toutefois officieuse, faute d’être institutionnalisée. Tout cela fut rendu possible par l’attachement des sultans musulmans au statut de dhimmi, avec ses discriminations mais aussi sa tolérance de principe, ses garanties et une dose d’autonomie qui n’empêche cependant pas l’intégration dans les cadres ottomans. La question demeure néanmoins de savoir si les juifs sont des dhimmis au même titre que les chrétiens, s’ils ne sont pas plus mal traités que ces derniers et pourquoi. Après le relatif « âge d’or » du XVIe siècle, les juifs ottomans voient leur condition se détériorer, sous l’effet de facteurs externes et internes. Ils conservent cependant des restes de leurs anciennes positions, mais l’abolition des janissaires, au début du XIXe, va leur porter un coup supplémentaire. » {Page 171}